La Fin de la Holding Patrimoniale
Ce texte s’adresse à vous, expert dans votre domaine du conseil, du droit et du chiffre.
Trois ans après le choc de taxation de janvier 2013, nous maintenons notre diagnostic.
Frappés par la rupture du consentement à l’impôt, les entrepreneurs ont déployé de multiples stratégies d’évitement du revenu.
Parmi celles-ci figurent, en bonne place, les stratégies d’encapsulement : une fraction des résultats annuels de la société opérationnelle est accumulée dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés, qui devient pour l’entrepreneur un véhicule d’investissement professionnel et/ou patrimonial.
Plutôt que d’épargner à titre individuel – après avoir subi un taxation sociale et fiscale qui peut dépasser 60 % – il s’agit d’investir après le seul frottement de l’IS (15 % puis 33,33 %). La solution, pour fonctionner, quand elle fonctionne, ce qui est tout sauf une vérité universelle – tout dépend de chaque cas d’espèce – a un besoin impérieux : bénéficier du régime mère-fille, selon lequel la distribution entre la société opérationnelle et la holding patrimoniale est taxé à 1,67 % seulement.
La loi de finances rectificative pour 2015, sans créer beaucoup d’émoi pourtant, vient d’aménager ce régime mère-fille, en instaurant une clause anti-abus qui, au minimum, doit nous conduire à compléter nos pratiques professionnelles par des inquiétudes nouvelles.
1. À l’origine : un dispositif visant les abus transfrontaliers du régime fiscal mère-fille
La directive européenne 2015/121/UE a introduit une clause anti-abus prévoyant que l’exonération ne peut s’appliquer « à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la directive, n’est pas authentique ».
En particulier, n’est pas considéré comme authentique un montage ou une série de montages qui « n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique ».
2. Que la LFR pour 2015 transpose fidèlement et étend aux schémas franco-français
L’article 29 de la loi de finance rectificative pour 2015 a institué un dispositif « anti-abus » spécifique au régime fiscal des sociétés mères, respectivement pour les dividendes distribués par une filiale établie en France à une société établie dans un pays tiers et pour les dividendes distribués à une société mère française, que la filiale distributrice soit établie en France ou dans un pays tiers.
3. Ce qui nous plonge, nous praticiens, dans une perplexité nouvelle
Avec ces nouveaux textes – les articles 145 et 119 ter du CGI – les praticiens sont confrontés à un pic absolu d’incertitude, au moment de sécuriser le conseil donné. Le contentieux 2020 est en route …
L’article 145-6 k nouveau du CGI prive du régime des sociétés mères et filiales les « produits des titres de participation distribués dans le cadre d’un montage ou d’une série de montages définis au 3 de l’article 119 ter ».
Fébrilement, nous consultons le 3 de l’article 119 ter, afin d’y trouver le cadre sécurisé de notre pratique. La déception est à la hauteur de l’attente, tant le texte nous semble laisser place à toutes les interprétations.
Le régime mère-fille « ne s’applique pas aux dividendes distribués dans le cadre d’un montage ou d’une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de … , n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents.
Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties.
Pour l’application du présent 3, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique. »
Nous avions redouté la tentative de 2013, censurée par le Conseil constitutionnel (n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013), visant à modifier la définition de l’abus de droit fiscal. Le projet de loi de finances pour 2014 aurait exposé à l’abus de droit les actes ayant pour motif principal, et non plus but exclusif, d’éluder ou d’atténuer l’impôt.
Dans sa décision de 2013, le Conseil constitutionnel reprochait au texte de ne pas respecter la Constitution, en particulier son article 34 et rappelait « qu’il incombe au législateur … d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi. »
Ne pourrait-on considérer que faire mention à « un montage ou d’une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux un avantage fiscal … » c’est insuffisamment précis et très équivoque ?
Ce n’est pas ce qu’a décidé le Conseil constitutionnel. Le 29 décembre 2015, il a déclaré l’article 29 conforme à la constitution, notamment parce qu’il s’agissait d’une règle d’assiette, n’instituant pas une sanction ayant le caractère d’une punition, et ne modifiant pas les dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales.
Cette nouvelle donne va nous conduire à réviser en profondeur nos schémas sociétaires.
La société holding passive, patrimoniale et unijambiste (quand elle ne contrôle qu’une filiale, la même qui était détenue directement par le dirigeant avant l’apport) est encore plus fragilisée.
Nous allons devoir veiller à préserver le plus longtemps possible la commercialité des holdings de nos clients. Soit une réflexion qui va combiner au moins trois éléments :
– le rôle de la société holding, active ou animatrice ;
– la distribution au sein du groupe des mandats sociaux, des rémunérations et des conventions, de « management fees » et/ou de mandat ;
– les stratégies raisonnables et pertinentes d’encapsulement à l’impôt sur les sociétés.
N’hésitez pas à nous contacter si besoin était pour des éclaircissements.
Bien à vous tous.
Très cordialement.
PEJ